Louis Aragon, Cantique à Elsa, Ce que dit Elsa.

Publié le 23 Avril 2014

Louis Aragon, Cantique à Elsa, Ce que dit Elsa.

"Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être

Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu,
Sur le bonheur volé fermons notre fenêtre
De peur que le jour n'y pénètre
Et ne voile à jamais la photo qui t'a plu.

Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde
C'est un monde où l'on aime à parler simplement,
Laisse là Lancelot laisse la Table Ronde
Yseut Viviane Esclarmonde
Qui pour miroir avaient un glaive déformant.

Lis l'amour dans mes yeux et non pas dans les nombres
Ne grise pas ton cœur de leurs philtres anciens,
Les ruines à midi ne sont que des décombres
C'est l'heure où nous avons deux ombres
Pour mieux embarrasser l'art des sciomanciens.

La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes?
Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer!
Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme,
Honte à ceux qui n'ont pas de larmes
Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés.

Tu me dis laisse un peu l'orchestre des tonnerres
Car par le temps qu'il est il est de pauvres gens,
Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires
Aimeraient des mots ordinaires
Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant.

Si tu veux que je t'aime apporte-moi l'eau pure
A laquelle s'en vont leurs désirs s'étancher,
Que ton poème soit le sang de ta coupure
Comme un couvreur sur la toiture
Chante pour les oiseaux qui n'ont où se nicher.

Que ton poème soit l'espoir qui dit A suivre
Au bas du feuilleton sinistre de nos pas,
Que triomphe la voix humaine sur les cuivres
Et donne une raison de vivre
A ceux que tout semblait inviter au trépas.

Que ton poème soit dans les lieux sans amour
Où l'on trime où l'on saigne où l'on crève de froid,
Comme un air murmuré qui rend les pieds moins lourds
Un café noir au point du jour
Un ami rencontré sur le chemin de croix.

Pour qui chanter vraiment en vaudrait-il la peine
Si ce n'est pas pour ceux dont tu rêves souvent,
Et dont le souvenir est comme un bruit de chaînes
La nuit s'éveillant dans tes veines
Et qui parle à ton cœur comme au voilier le vent.

Tu me dis Si tu veux que je t'aime et je t'aime
Il faut que ce portrait que de moi tu peindras,
Ait comme un ver vivant au fond du chrysanthème
Un thème caché dans son thème
Et marie à l'amour le soleil qui viendra."

Illustration, Elsa Triolet, résistante française et femme de lettres, muse et amante de Louis Aragon.

Rédigé par Cicne&Ròsa

Publié dans #Musique et Poésie

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